Parmi les cheminots, on distingue les sédentaires et les roulants. Les roulants, ce sont ceux qui conduisent les trains ; ils traînent derrière eux cinq à six cents voyageurs ou douze cents tonnes de matériaux. On les appelle les gueules noires, les aristocrates du rail… «On les voit toujours noirs, dit Etienne-Cattin (1), et la garde-barrière, qui connaît tous les anciens parce qu’ils passent devant elle depuis plus de dix ans, ne les reconnaîtrait plus s’ils étaient blancs.» Quelquefois, il y en a un qui tombe. Il est mort sur la ligne, « quelque part sur le front », comme un soldat. Une seconde d’inattention, une imprudence… la machine ne pardonne pas. Ou tout simplement, il est mort parce qu’il a voulu sauver un enfant, un vieillard, parce qu’il a voulu épargner son « engin ». Ce sont ses copains qui l’enterrent. En revenant du cimetière, on s’arrête au « café » ; et l’on boit quelques verres en souvenir du disparu. Cela se fait sans bruit, sans larmes, solennellement, en hommes. Un rite, une tradition… un instant de la vie des cheminots.
Mais ceux du rail, ce sont aussi les autres — tous les autres — ceux qui travaillent dans le ventre des machines, ceux qui posent les traverses, les ajusteurs, les tourneurs, les électriciens, les laveurs de locaux, les conducteurs de grue, les manutentionnaires, les porteurs de dépêches, et tous ces anonymes, ceux qui noircissent des pages à longueur de journée et qui, le soir, leur travail accompli, vont au cinéma, lisent Simenon, écoutent Trenet, ou simplement, caressent leurs mômes, sarclent leur jardin, rêvent des prochaines vacances… Mais ces ronds-de-cuir-là, Courteline, sûrement, ne les a pas connus !
Voilà donc ce que le rail, en plus de tant de choses, a apporté au monde : le cheminot.
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